La PUC. Je rappelle que cet acronyme aux sonorités sensuelles et mystérieuses signifie en fait Pontificia Universidade Catolica. Je n'ai jamais été en école privée, c'est une première. Mais les premiers pas dans ma facs ont eu tendance à démontrer que le Catolica n'est qu'un vestige du passé, qui s'accroche sous la forme d'une charmante petite église pleine d'azulejos sur le côté du Prédio Velho.
A la PUC on boit, on fume et on crache. C'est la pure vérité et n'en déplaise aux asthmatiques, on y fume très peu de tabac (mais on boit principalement de la bière!) Et il y a plein de petits détails qui me ravissent et rendent cette fac d'autant plus attachante comme le piano à l'entrée de la bibliothèque (oui ça peut paraitre incongru!) accessible à tout le monde, le magnifique Patio de la Cruz, le terrain de sport multifonction, surplombé par le bosque (non ce n'est pas une faute de frappe/ d'orthographe, mais bien le mot portugais) d'où on peut regarder les jeux ou siroter un café à l'ombre des arbres (bon on en ressort généralement avec des feuilles dans les cheveux, mais ça donne un côté Robin-des-Bois assez sympa), la vue caractéristique des gratte-ciels de São Paulo depuis le 5e étage du Prédio Novo (par ailleurs plus fonctionnel qu'élégant, en comparaison au beau bâtiment du Prédio Antigo), les innombrables petites cafettes et bureaux des élèves rattachés à des départements différents (le leader reste incontestablement le CACS - cafette-repaire des étudiants de sciences sociales!), et bien évidemment tous les bars que l'on voit depuis la bibliothèque, perpétuellement occupés par des étudiants surchargés de travail, qui noient leur inquiétude face à l'avenir dans des pintes de bière.
Sans surprise finalement, la relation aux professeurs est une relation d'égaux, voire d'amis. De fait, la langue portugaise, avec son "você" universel, facilite ce rétrécissement des distances (pour le coup c'est très proche de l'anglais!) Je le vois aussi dans le fait que (du moins en sciences sociales) on pousse les étudiants à faire de la recherche en tant que telle très tôt, dès la deuxième année. Leur Iniciação, est en réalité un mémoire de recherche déjà, qui leur fait mettre la main à la pâte, faire du terrain, choisir un sujet, contacter des personnes, faire des entretiens, observer, mettre en relation avec des auteurs, des concepts, des théories, mais aussi tirer leurs propres conclusions. Et si ce travail est bon, on le met en valeur, on leur fait exposer au cours de "tables rondes" parce que dire "conférence", c'est trop unilatéral. On leur fait publier dans des revues, de la fac ou d'ailleurs, on en parle, on leur en fait parler, on les encourage à aller plus loin, à réutiliser leurs résultats dans des travaux ultérieurs. Bref, on leur apprend le métier de chercher. Mieux que ça, on leur fait pratiquer. De manière plus générale, les étudiants brésiliens accumulent généralement études et stage (cruellement sous-payé, cela va sans dire). D'où des horaires tôt dans la matinée (à partir de 7h!) ou tard le soir (jusqu'à 23h). Autant dire que la jeunesse brésilienne est une jeunesse occupée, entre les études, le travail, la famille, les amis, les sorties et les amours, je les soupçonne fortement de ne pas dormir la nuit!
Et puis il n'y a pas de cours magistraux (quel dommage...) mais que des conférences plus ou moins intimistes que l'on prépare par une lecture (méticuleuse bien sûr) des textes originaux des auteurs. Je n'ai jamais autant lu que cette année. Parce que j'ai plus le temps de faire mes lectures, parce que lire le portugais me prend encore trois fois plus de temps, parce que je lis avec plus d'attention aussi. Il va sans dire que le type de textes que j'ai à lire ici n'est pas le même type qu'à Sciences-Po. Ici on n'a pas peur d'afficher clairement ses opinions politiques (communistes/ anarchistes) dans un article scientifique, ni de revendiquer haut et fort l'influence déplorable qu'a l'impérialisme norte-americano (comprendre étasunien) sur le monde, et en particulier sur l'Amérique Latine. A noter qu'il est beaucoup plus facile d'acérer son esprit critique sur des textes aussi engagés. Mais que le tout manque sans doute un peu de variété et de contre-exemples.
Cependant je ne doute pas une seule seconde que cette culture communiste encourage les étudiants à s'engager peut-être davantage qu'à Sciences-Po (on en revient toujours là, mais je n'ai pas d'autres points de comparaison pour le moment...)
On a un exemple frappant en ce moment: pendant que la PUC est en grève générale pour défendre les valeurs de la démocratie, Sciences-Po se dépatouille avec un rapport de la cour des comptes qui rappelle des "irrégularités récurrentes" dans la gestion du budget de l'école, débouchant sur le refus d'instituer Hervé Crès comme directeur de l'école. Bien que je sois loin, il ne me semble pas avoir entendu que les évènements ait intéressé un grand nombre d'étudiants. Pas assez en tout cas pour créer un mouvement de groupe notable. Les faits ne sont certes pas comparables mais ils permettent d'avoir un aperçu des réflexes de mobilisation dans les deux facultés.
A la PUC le directeur est élu lors d'une élection ouverte aux étudiants, fonctionnaires et professeurs. Les trois premiers candidats sont soumis au Cardinal qui nome l'un d'eux. Traditionnellement, c'est le premier de la liste qui est choisi. Mardi 13 novembre, le Cardinal a choisi de nommer la troisième candidate de la liste, Ana Cintra. Vécu comme un "coup d’État" et un manquement grave aux principes démocratiques, élèves, professeurs et fonctionnaires se sont mobilisés pour protester contre cette mesure en votant à l'unanimité la grève générale. Ce même mardi les salles ont été vidées de leurs chaises, empilées sur la Prainha (l'espace qui sépare le Prédio Novo du Prédio Antigo) et dans le Patio da Cruz, comme symbole de l'arrêt de toute activité académique. Depuis s'enchainent les assemblées générales de tous les départements qui rallient peu à peu le mouvement, les groupes de discussions, les interventions publiques des professeurs et des étudiants (qu'il y ait une véritable argumentation à présenter ou non d'ailleurs), les "fêtes de résistance", les "churrascos (barbecues) de la révolution", et autres réjouissances de l'ordre de l'engagement civique et révolutionnaire.
Et je trouve ça bien. De fait il y a eu un non-respect des procédures habituelles et la nomination de cette candidate est largement politique puisque le Cardinal vise le renforcement des valeurs catholiques au sein de la PUC (soit dit en passant, y a du boulot!). Et puis bien que le premier mouvement (celui des chaises en particulier) ait été spontané, c'est intéressant de voire le mouvement s'organiser, se densifier, se ramifier autour de plusieurs actions différentes. Il y a des pétitions, des réunions, des conférences pour faire des actions "choc" mais sans porter de préjudices administratifs aux étudiants. Les partiels ont été remplacés par des travaux à la maison, certains profs -ne font pas cours oh non! tout le monde est en grève - mais se réunissent au bosque (rien à voire avec des sous-bois, c'est plutôt une courette) pour "discuter" avec les élèves à l'heure habituelle des cours, etc.
Évidemment qu'il y en a qui soutiennent la grève pour ne pas avoir à se lever trop tôt le matin, évidemment que personne n'est resté occuper la PUC pendant les 5 jours de fériés, évidemment qu'ils n'ont pas encore cassé toutes les vitres pour montrer le sérieux de leur engagement, mais le mouvement continue, persévère et s'amplifie.
Alors je n'ai aucune idée des chances qu'il peut y avoir de changer le cours des choses, mais au moins il y a de la mobilisation. Et même si je ne me sens pas tout à fait légitime pour participer haut et fort, j'observe discrètement, en tant "qu'anthropologue" en herbe, les cheminements et les choix qui sont pris. Et j'apprends. Parce qu'au fond c'est la première fois que je sens un véritable mouvement collectif de protestation constructif s'organiser sous mes yeux.